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Un sac sur le dos Un sac sur le dos
Amandine

Si mon sac pouvait parler, quelles histoires de contrées lointaines me raconterait-il ? Quelles complaintes me chanterait-il depuis son étagère, prenant la poussière entre deux envolées ? Si mon sac pouvait parler…

Il était une fois, un sac voyageur

J’étais destiné à cela. Je le sais. J’en suis sûr. Au plus profond de mes fibres, je sens cet appel criant des grandeurs et celui si puissant de la simplicité. La simplicité des grandeurs : les vastes étendues, les paysages infinis, les nuages qui volent à l’horizon, les orages qui passent, les étoiles qui tournent tout autour. Et moi au centre de tout cela.

Au centre du monde.

Moi qui use mes lanières à ajouter tous ces souvenirs, délicatement, comme on se saisit d’un nouveau-né : avec surprise, émotion et tendresse. Tous ces souvenirs, je les intègre en moi, je les porte fièrement. Lourdement aussi parfois. Car tous les souvenirs ne sont pas faits de pétales, certains ont des épines. Mais je les garde, quand même. Ils font partie de mes voyages. Ils font partie du monde. Ils font partie de moi.

Égratigné, usé, élimé, mais toujours libre, je poursuis mes découvertes. Tous les moyens sont bons : bus, avion, ferry, voiture, voilier, dromadaire, vélo, ULM, motoneige… Tous les moyens sont bons, pourvu que ça bouge. Pourvu que je sois avec Elle.

J’en ai vu du chemin. Si tu savais tout ce que j’ai vu. Des routes poussiéreuses aux graviers qui pénètrent partout, même dans ma pochette secrète. Des pluies qui semblent couler d’en haut et d’en bas en même temps, qui glissent le long de mes fermetures éclair sans pour autant toucher à mes précieux souvenirs. Le corps mouillé, mais l’âme au sec : il en faut bien plus pour m’atteindre !

Que j’aime ces moments où enfin Elle vient me chercher. Je sens la fébrilité dans ses doigts. Je sais qu’Elle viendra toujours me prendre une dizaine de jours à l’avance, qu’Elle me fera dormir avec Elle, dans sa chambre. Mais Elle ne me touchera plus avant la veille. C’est comme ça, comme pour faire monter l’adrénaline. Ou garder les pieds sur terre… Peut-être a-t-Elle peur : si Elle me préparait trop vite, Elle risquerait de partir tout de suite, de ne pas pouvoir attendre un jour de plus.

C’est toujours la veille, quand les étoiles éclairent le ciel, qu’Elle me pose sur son lit et qu’Elle commence à faire entrer tout ce que nous devons emporter. Oh, Elle m’a fait souffrir au premier voyage. Mais je sais qu’Elle a souffert tout autant que moi. Et la douleur partagée, ça rassemble. Mais nous n’avons plus fait la même erreur, de vouloir tout prendre, tout prévenir, tout prévoir. Maintenant nous voyageons léger. Tellement léger que je flotte parfois ! Mais je ne m’inquiète pas, je sais que, tout contre son dos, Elle m’apprêtera pour que je sois au plus près d’Elle. Ne faire plus qu’un. Elle, le regard tourné vers l’avant. Et moi qui garde ses arrières. Elle peut me faire confiance, je suis là pour ça.

Que j’aime quand son réveil sonne, le jour du grand départ. Plus besoin d’un rappel pour sauter du lit : là voilà à mes pieds en quelques secondes. « C’est aujourd’hui », me murmure-t-Elle. Je sais. Je sais.

Je sais que nous allons aller dans un grand hall, avec des voix douces qui annoncent les départs, des gens qui courent en tout sens, comme s’ils avaient l’éternelle question collée aux lèvres : « et si ? ». « Et si j’avais oublié quelque chose ? » « Et si je ratais mon vol » Et si et si…

Mais Elle ne se pose pas ces questions. Ou ne se les pose plus. Elle sait qu’Elle aura forcément oublié quelque chose ou quelqu’un. Et que c’est OK comme ça. La vie donne tant de secondes chances.

Et là Elle me livre. En me déposant délicatement sur un tapis roulant comme on confie son enfant à la crèche le premier jour. Émotions, tensions. « Ne t’inquiète pas ». J’ai envie de lui dire que ça va aller, que je vais la retrouver de l’autre côté. De l’autre côté de l’avion. De l’autre côté de l’océan. De l’autre côté du monde. Ou que cela soit, je la retrouverai.

Oh, je sais, je lui ai déjà fait peur. Comme cette fois où je n’ai pas su la suivre entre deux vols et qu’Elle m’a cherché partout sans me trouver. Ou cette fois où l’on a tout simplement oublié de me faire monter à bord et où je suis resté sur place à la regarder s’envoler sans moi. Heureusement, à chaque fois, ce n’était que de courtes séparations : toujours, je l’ai retrouvée. Toujours, Elle m’a attendu.

Et ces retrouvailles ! Quand Elle me reprend dans ces bras après m’avoir repéré parmi tous ces sacs et valises qui tournent tout autour de moi. Je sens dans son regard l’excitation, la joie : « Là, c’est toi !  Je te retrouverai parmi des milliers ! ». Et tu me glisses contre toi, et nous partons à la découverte du monde, confiant. Car nous sommes ensemble. Nous ne sommes qu’un.

Et dans les moments forts, les petits riens du quotidien, les bons comme les mauvais moments, je suis toujours là, à ses côtés.

Les moments les plus durs sont ceux du retour. Je sais que c’est dur pour Elle aussi. Alors j’essaye de ne rien dire. Quand Elle ouvre la porte de chez Elle et qu’Elle me dépose au sol. Dans sa chambre. Elle me fera dormir au pied de son lit encore pour une bonne semaine avant de me ranger. Comme pour prolonger le voyage. Mais quand son regard tombe sur moi, je sens cette intense douleur. Celle d’une tristesse que rien ne peut consoler, et surement pas le temps. C’est fini. Pour Elle, pour moi, pour nous.

C’est fini.

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Arrivée au refuge (randonnée en raquette)

Elle finira par me poser à nouveau sur son lit, me vider de tout ce que je possède. Tous ces souvenirs qu’Elle posera sur la couette en une file ordonnée. Même la trousse à pharmacie rechigne à descendre pour regagner l’étagère de la cuisine. Je lui glisse un « au revoir, on se retrouvera bientôt ». Je l’aime bien cette petite trousse à bobo. Elle aussi est toujours là pour Elle. Prête à la soutenir dans les moments les plus difficiles. Sauf celui-ci, le retour. C’est sans doute ce qui déprime le plus la trousse à pharmacie : de n’avoir aucun médicament pour penser ces douleurs-là.

Puis vient mon tour. Regagner l’étagère. Loin de la chambre, loin d’Elle. Elle me murmure au revoir, parfois. Parfois sa voix est trop oppressée par le déchirement des adieux, alors Elle ne dit rien. Mais je sais. Je sais que c’est difficile, de revenir. Je sais aussi qu’Elle n’attend qu’une chose, me revenir et m’emmener avec Elle. Alors je ne dis rien non plus. J’attends. J’attends sur cette haute étagère, trônant sur le débarras. Une fois par semaine, Elle vient prendre le sac pour les courses. Toujours lui. Mais je sais qu’Elle ne l’aime pas. C’est moi qu’Elle veut, son regard glissé en douce ne trompe pas. Alors je ravale ma jalousie et ma poussière. Et j’attends.

J’attends et je sais que ce jour viendra, celui d’un nouveau départ

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Vue sur les montagnes

À mon sac ; âme, mon sac…

Merci d’être toujours là pour moi, fidèle au post, prêt à repartir et à veiller sur mes arrières. Prêt à m’aider à faire la part des choses entre l’essentiel et le superflu. À m’aider à retrouver cette grandiose simplicité du voyage et de la vie.

Fidèle compagnon, tu es l’emblème de mes escapades à travers le monde. Je t’emmène partout, de la randonnée en pleine nature pour dormir sous tente au citytrip dans un hôtel 5 étoiles. À mes yeux, tu ne symbolises pas le voyage en sac à dos ou le « backpack ». Non, tu es bien plus que cela. Tu symbolises le voyage à l’état pur. Et tu me rappelles deux vérités, si simples qu’elles en ont vite oublié :

Il en faut peur pour voyager.

Il en faut peu pour être heureux. (Mais c’est sans doute un peu la même chose.)

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Voyager sac à dos

Voyager… et rentrer

Le retour de voyage est sans doute l’étape la plus difficile de toute aventure. J’en parlerai plus sérieusement dans un prochain article, mais en attendant voici une vidéo humoristique où les voyageurs en manque de voyage se retrouveront très certainement.

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12 réponses à “Si mon sac pouvait parler…”

  1. Excellent !!!
    Le nôtre va rester un peu au placard avec l’arrivée en 2017 de mini-figolu mais on compte bien le reprendre dès que possible pour lui faire vivre de nouvelles aventures !

  2. J’ai trouvé cet article très intéressant à lire ! Bien original de décrire selon la perspective du sac 🙂 Aaah et ce sentiment de laisser le sac bien en vue après son voyage pour s’en rappeler, je connais bien ce sentiment !

  3. C’est vrai que mon seul sac de voyage étant mon sac photo, je n’ai pas cette relation avec lui, étant donné que je le vois pratiquement tous les jours ^^

    (Et oui, je suis un voyageur à valise à roulette :p)

  4. Tout en lisant ces lignes, je souriais et je pensais à mon compagnon à moi : mon fidèle ami qui me suit partout, à qui j’ai offert — et oui, moi aussi ^^ — un joli texte que j’ai eu l’honneur d’avoir lu à l’écran par Lionel Cecilio, dans « Voyage au bout de la nuit », il y a quelque temps.

    Quel joli point de vue qui nous emmène, nous entraîne au fil du voyage, des voyages ! De tous ceux qu’il a vécus avec toi, avec vous deux.

    Parce que notre sac à dos à nous, arpenteurs du monde, il vit, il ressent presque avec nous. C’est une extension de nous. Une seconde peau, qui fait souvent mal lorsqu’on doit muer en se séparant un temps de lui.

    Mais la séparation ne dure jamais vraiment longtemps. Et quel soulagement d’à nouveau enfiler notre seconde peau, toute neuve parce qu’elle a mué avec nous, et ancienne en même temps, parce qu’elle a tellement vécu… À côté, tout près de nous.

    Merci pour ces éclats d’éternité à travers tes mots, pour cet éloge à deux voix, la tienne, et la sienne, qui ne font qu’une.

    Qui n’ont jamais fait qu’une, finalement.

    • Coucou Annajo, et un tout grand merci pour ton gentil message 🙂
      Oh oui, une histoire sans fin, une histoire qui se répète sans jamais se ressembler, celle des voyages avec mon sac à dos ! Je viens de le ranger, le posant sur son étagère en espérant pouvoir le ressortir bientôt !

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